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2 octobre 2005

06.4. Genèse, émergence, et expansion. Alors

06.4. Genèse, émergence, et expansion.

                                              

Alors notre avenir sera un hypercorps, hybride, social et technobiologique pourvu d’identités multiples, que nous téléchargerons à loisir sur internet. Je mettrai certaines de mes identités en vente sur E.Bay[1]. Entre amis, nous irons au supermarché de l’identité où, au gré de nos humeurs, nous nous réapprovisionnerons.

Et nous n’en sommes pas loin, les jeux vidéos se rapprochent de plus en plus de ces possibilités, d’échanges, de partages, de commerces de nos propres identités.

Les SIMS[2] en sont un exemple et permettent de créer un ersatz de soi-même (ill.43), « réaliste » ou purement fantasmé, mais qui, si l’on part du fait que nous sommes multiples, n’est autre que l’extériorisation d’identités sous-jacentes.


Et désormais, via le réseau Internet, je suis en mesure de proposer mes Sims-identités à qui veut bien se les approprier. Finalement, assez similaires au micro de Judy de Tony Oursler[3]. Encore un fois, nous devenons, et nous ne sommes, tous, que le réceptacle de quelqu’un d’autre.

Mais nous sommes contaminé ; nos identités, par ces échanges, ces jonglages, par notre maîtrise qui s’affine de jour en jour, deviennent inscrites dans un mouvement continu. Atteints d’un nomadisme effréné, d’un nomadisme de l’intérieur.[4], nous sommes baladés sur les autoroutes de l’identité. Nous essayons de tout prendre et de tout échanger, de tout jouer et de tout contrôler.

Nous voilà greffés au sein de l’identité multiple de l’humanité.

Nous n’avons plus d’endroit où aller, car nous sommes partout.

Nous sommes semblables à un Vous êtes ici, épinglé sur une humanité en quête d’elle-même.

Christophe Noël, Paris, 2005.


[1] Site Internet de ventes aux enchères en ligne.

[2] Les Sims, Electronic Arts Inc, EA Games, 2004.

[3] Page 68 et 71 de ce mémoire, chapitre 04.4. La voix de son maître.

[4] Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ?, La Découverte, Paris, 1998.

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2 octobre 2005

06.3. Des idées fraîches. L’étude de l’identité,

06.3. Des idées fraîches.

L’étude de l’identité, est encore toute fraîche, car dépendante de l’évolution même du cerveau humain et de ce que nous en savons. Et à notre stade, le beaucoup que nous savons n’est pas grand chose à l’égard de ce qui nous attend. Comme nous n’utilisons qu’une infime partie de notre capital psychique, l’identité multiple, n’est bien qu’un prémisse à ce que nous pourrons en définir dans l’avenir. Sa conception, son nom même, ne signifieront sûrement plus ce que nous en disons aujourd’hui. Mais  c’est une excuse insuffisante, extrapolons alors quelque « pas » dans le monde de l’ubiquité. Car bientôt nous ne serons plus multiples, mais « ubik[1] ».


06.4. Premiers pas dans l’infosphère[2] de l’identité.

La virtualisation du corps n’est donc pas une désincarnation mais une réinvention, une réincarnation, une multiplication, une vectorisation, une hétérogenèse de l’humain.[3]

Dans L’invention de Morel, le personnage principal n’avait pas le choix, il devait se séparer de son corps, et même mourir, pour qu’un enregistrement, une séquence holographique lui survive, il ne pouvait être à la fois la projection et conserver son état originel. De notre temps cela est tout autre, nous sommes à la fois la représentation, par nos images, et l’origine vivante. Notre multitude physique s’arrête à une représentation, à un artefact, mais n’en est pas moins une multiplication d’identités.

Comme nous l’avons vu, l’état médical du M.P.D., dissocie, lui, le corps, chaque identité ayant le sien propre au sein d’une même personne physique. Tout ceci, est donc bien une question de point de vue, point de vue des personnes concernées, et point de vue des gens extérieurs au sujet.


Nous avons des identités multiples, mais celle-ci tendent à gagner un nouvel espace, à faire gagner à notre multitude le don d’ubiquité. Pierre Lévy émet cette théorie de l’explosion, du commencement de l’ubiquité de l’homme, en utilisant l’exemple simple du téléphone.


Le téléphone par exemple, fonctionne déjà comme un dispositif de téléprésence. En effet, il ne convoie pas seulement une image ou une représentation de la voix, il transporte la voix elle-même. Le téléphone sépare la voix (ou corps sonore) du corps tangible et le transmet au loin. Mon corps tangible est ici, mon corps sonore, dédoublé, est ici et là-bas. Le téléphone actualise déjà une forme partielle d’ubiquité.[4]

Cela affecte aussi le correspondant ,et l’on rejoint un petit peu le sentiment que l’on avait dans les photographies de Mathieu Bernard Raymond, les deux correspondants, se retrouvant respectivement en deux lieux différents, en même temps.

Un exemple plus troublant, ce sont les opérations médicales effectuées à distance. Parfois, à de courtes distances qui nous en masquent l’ubiquité. Tel le chirurgien, pratiquant une opération à l’aide de bras mécaniques dirigés via un ordinateur à quelques mètres. C’est le cas pour la plupart des opérations effectuées au sein du cerveau, où l’aiguille qui rentrera dans le crâne, pour un besoin évident de précision, ne peut-être maintenue que par l’intermédiaire de machines. D’autres opérations, plus bénignes se pratiquent à distance de la même façon, au Japon et aux Etats Unis notamment, et d’une ville, à une autre.

Un individu actionne donc une « marionnette », un clone mécanique, un prolongement physique de lui-même transféré et agissant à distance.

Pierre Lévy stipule que chaque nouvel appareil ajoute un genre de peau, et

Les corps visibles audibles et sensibles se multiplient et se dispersent au dehors.[5]


[1] Orthographié ici dans le sens de Philip K. Dick, Ubik, 1969, tr. fr. Paris, Robert laffont, 1970.

[2] Terme créé par Dan Simmons désignant les systèmes de réseaux virtuels, comme par exemple l’internet.

Dan Simmons, Les Cantos d’Hypérion et La Chute d’Endymion, Tr. Fr. Paris, Lafont, 1992 à 1997.

[3] Pierre Lévy, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La Découverte, 1998.

[4] Op. Cit.

[5] Ibid.

2 octobre 2005

06.2. Je n’existe plus sans Nous. Au début de ce

06.2. Je n’existe plus sans Nous.

Au début de ce mémoire, je disais que je ne voyais chez Claude Cahun aucune identité multiple mais une identité singulière qui « tendrait à jouer avec ses «sous-couches.»[1]. J’optais pour distinguer deux catégories, l’identité singulière et l’identité multiple. Au regard de l’étude, il me semble que le terme « d’identité singulière » s’en retrouve obsolète ou plutôt inapplicable.

Pour ce qui relève de Claude Cahun, son travail n’est pas concentré autour de l’identité multiple, mais je pense qu’elle est malgré tout pourvue d’identités multiples, comme tout un chacun. Ses plusieurs « moi », qui se mélangeaient au sein d’un « je» unique, se mélangent en fait au sein d’un des « je » des identités de Claude Cahun, et semblent ne nous en faire paraître qu’un seul.

De même pour Charles ray, pour qui l’identité multiple n’est pas le propos, mais l’on peut tout à fait être en droit de penser qu’il s’agit dans son œuvre Oh ! Charley !, Charley, Charley, de la représentation, d’une de ses identités multiples. D’ailleurs cette auto-adulation de lui-même au travers de ces clones est l’une des caractéristiques citées par la pathologie du M.P.D. (personnalité idéalisée et narcissique[2]). Si l’œuvre de Charles Ray nous trompe par la multiplication des corps, la subtilité, et la force de l’identité multiple, c’est que nous sommes à la fois face à une multitude d’identités, mais jamais toutes en même temps, c’est toujours un « je » que nous avons et non un « nous ». Mis à part que ces « je » sont plusieurs, qu’ils jouent dans un même corps, mais chacun leur tour.

C’est une histoire de représentation et de temps, dans la réalité on ne pourra jamais les voir qu’un par un, au mieux l’un après l’autre. Seul les artistes et leur œuvres nous les donne-à voir en simultané.

Il me paraît tout simplement difficile d’envisager l’existence même d’une identité singulière chacun choisi suivant le contrôle, qu’il peut établir sur ses différentes identités, ce qu’il va nous montrer, ou plutôt, devrait-on dire, ce qu’il va nous jouer.

Charles Ray, par exemple, nous montre une identité qui le « sublime »,  c’est la duplication qui nous a trompés, il s’agit bien « d’une », mais « d’une » des identités multiples, dont nous ne connaissons pas les autres.


[1] Page 22 de ce mémoire.

[2] Note 68, page 65 de ce mémoire, "La personnalité narcissique est caractérisée par des fantaisies ou des comportements grandioses, un besoin d'être admiré et un manque d'empathie." (s'aime elle-même).

2 octobre 2005

06 EN CONCLUSION, La multiplication des uns, la

06 EN CONCLUSION, La multiplication des uns, la disparition des autres.

-Chacun de nous le fait à chaque instant. Comment faire autrement ? Chaque fois que l’un de nous se montre au dehors, il se désigne par « je », par « moi »… comme s’il était seul, comme si vous n’existiez pas…[1]

06.1 –« Ce n’est pas le patron qui vous parle, mais l’homme,

l’ami. »

Nous sommes donc des êtres pourvus d’identités multiples, nous avançons dans le chemin de l’évolution, tout en jonglant en permanence, au gré de nos humeurs, avec nos identités. Il y a des personnes plus habiles que d’autres, qui jonglent avec un contrôle parfait de chaque identité. Ils savent se jouer aussi de l’équilibre, en enlevant certaines identités, trop lourdes, ou non maîtrisables. Puis, il y a ceux qui font ce qu’il peuvent, embarrassés de trop de balles et en laissant partir certaines, n’importe ou.

Ce jeu de jonglage, est permanent dans notre quotidien non seulement en fonction des contextes comme on l’a vu, mais en fonction de ces fameuses humeurs.

Ou, plus nous apprenons à les contrôler, plus nous sommes aptes à jouer en quelque sorte la vaste comédie humaine. Plus nous sommes entraînés à multiplier les rôles, plus nous sommes aptes à en acquérir de nouveaux. Ou, si nous ne sommes pas assez forts, à nous faire dominer par l’une de nos identités.

Peut-être que le secret d’une bonne gestion des identités, viendrait par une bonne maîtrise des humeurs. Ces dernières,[2] (l’amour, la haine, le mépris, l’indifférence, le désir, la ferveur, l’extase, l’adoration, la peur…) ont la particularité de pouvoir survenir par surprise.

On entend parler, parfois, de cette volonté, ou nécessité dans notre société, d’affirmer son identité. Je crois que ce n’est en fait qu’une évolution du contrôle, de l’identité multiple, on décide d’en faire ressortir une, parce qu’on remarque que  nous avons cette possibilité. Et qu’il est important pour l’individu de fondre cette identité dans un groupe social, d’appartenir à une sorte de communauté.

L’identité multiple, liée à l’identité sociale, permet de lui adjoindre un pouvoir plus important, et de la démultiplier encore plus. Je veux dire par là que, dans ces gens qui me ressemblent, qui appartiennent au même groupe que moi, je me multiplie à travers eux. Mes identités multiples, circulent au travers des leurs et réciproquement.

C’est une communication, ou même cette communion identitaire, qui amène un mélange des identités, et qui par cette multitude de brassages des esprits, peut affaiblir ses propres identités. Car elles s’ouvrent, et se révèlent plus facilement au sein de la communauté qui leur ressemble. Alors l’une des identités, celle d’une autre personne peut devenir dominante (semblable aux relations que nous avons avec nos propres identités multiples), et devenir meneuse. Les identités pourront alors pour un temps marcher derrière une seule, dominante, derrière un seul individu. C’est le propre des prophètes, politiques, dictateurs ou simples meneurs, etc., qui influe sur nos identités, là où nous n’avons pas été capable d’établir nous-mêmes un contrôle, ou là où nous n’en avions pas le souhait.


[1] Nathalie Sarraute, Tu ne t’aimes pas, Paris, Gallimard, 1999.

[2] Page 41 de ce mémoire

2 octobre 2005

05.2. Se marcher dessus. Le titre de la série

05.2. Se marcher dessus.

Le titre de la série Vous êtes ici, indique, au sens géographique, la position d’un spectateur par rapport à un paysage. Termes que l’on retrouve sur les cartes d’orientation et les plans des villes.

Une personne seule se retrouve au sein d’un paysage vaste, à l’horizon infini. Ce dernier est généré entièrement numériquement, il n’existe pas, n’est pas réel et est le produit d’une création entièrement générée par un programme informatique.

Paysage virtuel dont la matière première provient exclusivement de l’ensemble du corps de l’individu qui s’y trouve placé.

L’ill.40. et sa décomposition dans l’ill.41 permet de mieux cerner le procédé.

Cette série nous permet de faire le lien avec la tribu des Dogons dont nous parlions, car elle illustre le même phénomène, pourrait-on dire physique. L’individu se retrouve, au milieu de lui même. Peut-être Mathieu Bernard Raymond nous fait-il entendre que le contexte dans lequel nous évoluons nous fait, nous construit, construit nos propres identités, et réciproquement. Le personnage se retrouverait donc, ici, au sein de ses propres identités.

Mais ne se serait-il pas perdu ?. C’est le titre de la série qui me fait envisager cette hypothèse. Car le terme Vous êtes ici, est consulté souvent, lorsque nous cherchons, justement, à nous repérer. A savoir où nous sommes, par rapport à un ensemble.

Je pense aussi à la maladie du M.P.D. lorsque celle-ci, devient difficilement contrôlable. Les photographies de Mathieu Bernard Raymond restituent très bien la sensation, d’être perdu au milieu de nulle part.


Le « Vous êtes ici » signifie à la fois « être partout et ailleurs », il rejoint donc ici la notion d’ubiquité (attribuée habituellement aux divinités, etc.) , il ne s’agit pas non plus, d’avoir des identités multiples, mais d’arriver aussi, à être multiple.

Etre partout revient en fait à ne plus avoir véritablement d’unique place.


Mathieu Bernard Raymond, nous rend en un seul et  même mouvement, au sein d’une culture et d’une société donnée, semblable à certains autres.

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2 octobre 2005

05. Les glissements de Mathieu. 05.1. Identité

05.      Les glissements de Mathieu.

05.1. Identité propre et l’identité des gens photographiés.

Mathieu Bernard Raymond est né en 1976 et est représenté par la galerie Donzevansaanen à Lausanne, en Suisse, et par la galerie 779 à Paris. Il est lauréat en 2003 de la Fondation CCF pour la photographie.

Dans la série Intervalles (ill.36 et 37), l’artiste clone, sur des lieux touristiques, les vacanciers à la plage, les spectateurs de panoramas, dans un même cadre photographique et à différents moment dans le temps.

On ne peut donc savoir si différentes  personnes étaient vraiment là au même moment. Les lieux où se situe la scène pourraient être n’importe où dans le monde et ne sont pas identifiables sauf pour le réel connaisseur de l’endroit, et l’un d’eux peut nous sembler facilement familier.


Nous avons ici une identité commune liée au tourisme de masse. Les touristes ici, par leur présence, « créent » le décor et font le cadre.

Un cadre intemporel, dont on ne peut déterminer ni la durée, ni quand a eu lieu l’action.

Les photographies sont le résultat d’un montage numérique et d’un clonage des « acteurs » de la scène. Une fois le procédé identifié, l’image nous semble beaucoup plus vide que son apparence.

(…) et l’on se retrouve confronté à la solitude de l’homme.[1]

Dit William Ewing, cette multitude s’éloigne de notre idée de l’identité multiple, comme chez Charles Ray la multitude physique des personnages nous trompe. Ce vide ressenti vient du fait qu’il n’y a rien , finalement, où « se raccrocher ». Il n’y a pas de référence à laquelle nous pourrions nous lier. Sauf une, c’est ici une sorte d’identité sociale, liée à notre culture, celle du tourisme de masse.

Ces lieux, même si nous n’y sommes jamais allés exactement, nous sont néanmoins familiers. Et nous pouvons même aller jusqu’à dire que nous avons vécu les mêmes moments. Ces images, jouent le rôle de « mots-clefs », pour notre mémoire, et déclenchent dans notre esprit un rappel d’un vécu similaire. La multiplication physique des personnes renforce ici la facilité avec laquelle nous pouvons nous approprier leurs corps. Corps, qui deviennent des réceptacles pour nos identités.

ill.38. Mathieu BERNARD-REYMOND

Intervalles, 2003.

Nos identités dans le temps ; je suis à la fois l’enfant qui se baigne et les parents qui le surveillent (ill.38). Je suis autant spectateur de la scène que participant. Mon identité fait un pas vers l’ubiquité, par le jeu des référents de ma mémoire.

Edgar Morin[2] disait que l’identité est une affaire de références, de vécus, d’un passé. Mais, ici, cette série de photographies peut fonctionner sans que je possède réellement ces référents, au sens du vécu. Parce qu’ils existent dans ma tête, au niveau de ma culture, de mon éducation, et de la société dans laquelle j’évolue. En gros, pourrait-on dire, celle d’un individu occidental.

Ces images n’évoqueraient en effet, aucune identité sociale pour la tribu des Dogons, par exemple. Aucune identité sociale en tout cas, liée à leur propre existence, à leur propre culture. Tribu dont la particularité lie justement l’identité de ses membres à l’environnement qui les entoure. Ils ne font qu’un avec les arbres et la terre où ils vivent. Il n’y a pas l’Homme et la Nature, il y a « un ». Pour eux le sang circule autant dans les arbres, les fleuves, que dans leurs corps.


[1] William E. EWING, Mathieu BERNARD-REYMOND, Vous êtes ici, Arles, Actes Sud, Fondation CCF, 2003.

[2] Page 46 de ce mémoire. « Nous nous définissons en référence à notre village, notre province, notre nation, notre religion. Notre identité se fixe non en s’en détachant, mais au contraire en incluant ses ascendants et ses appartenances. »
Edgar MORIN, L’Identité humaine, La Méthode, tome 5 : L’Humanité de L’Humanité, Paris, Seuil, 2001.

2 octobre 2005

04.5. La voix de son maître. Partie 2 : Des

04.5.         La voix de son maître. Partie 2 : Des vertiges.

Je reviens sur l’idée du micro d’Oursler dans son installation Judy. On peut dire que le micro est l’habit que revêt le visiteur pour incarner, ou pour s’emparer d’identités.

« L’attraction » du micro me fait penser au film d’Alfred Hitchcock, Vertigo (ill.35) où le personnage principal remodelait une femme à l’image d’une femme morte qu’il avait aimé.

Je remodèle via le micro la multitude de Judy que me proposait Tony Oursler.

A moins qu’il souhaite que celle-ci soit perçue comme un réceptacle « vide » en attente de possessions via les visiteurs. Un bouquet de fleur nous crie ” I don’t care what you smell, just eat it”, Chaque hybride objet-projection lorsqu’il nous parle, est souvent agressif, voire insultant, un peu comme s’il nous demandait de nous mêler de nos affaires et de passer notre chemin.

Où plutôt, au vu de ce que nous dit le bouquet, qu’il faudrait nous dépêcher pour le manger et ne pas tatillonner just eat it, l’idée de manger, de dévorer me vient à l’esprit aussi via le micro de l’installation, je m’accapare, je dévore littéralement les identités de Judy et les fais mienne, je ne deviens pas Judy, je ne l’incarne plus, je suis Judy, je suis toutes les Judy.

Au début du mémoire il était dit que nous nous construisions des identités toujours par rapport aux autres. Est-ce que les identités de Judy n’existeraient qu’a travers moi, c’est un peu comme l’identité des objets. Il n’existe que parce que je suis « là », elle est mon réceptacle et je lui donne des identités liées à moi, même si elles ne me sont pas personnelles. En un instant donné nous pouvons être plusieurs à lui conférer une multitude d’identités.

Les autres nous perçoivent d’une certaine façon, mais il ne s’agit pas que d’interprétation, de perception, de point de vue. En poussant plus loin, je dirais que nous sommes tous le réceptacle de quelqu’un d’autre. Mes identités existent aux travers des autres.

On revient à cette idée des identités pour chaque conteste (travail, famille etc), à cette perpétuelle mise en scène de la vie quotidienne dont parlait Erwing Goffman. J’essaierai encore de pousser l’idée à ses extrêmes, je pense qu’un être lambda possède au minima autant d’identités qu’il y a d’autres êtres humains que lui.

Nos identités vivent aux travers des autres, artefacts et êtres vivants. Notre identité est multiple, parce que tout simplement nous ne sommes pas seul.

2 octobre 2005

04.5. Etre ou jouer à être, ou Le danger des

04.5.         Etre ou jouer à être, ou Le danger des personae.

Le danger du M.P.D. est que l’une des personnalités peut devenir dominante et détruire les autres et par conséquent détruire aussi le moi originel. La fiction a extrapolé bien des fois ce thème, c’est le cas du film Psychose d’Alfred Hitchcock en 1960 (ill.34), où, à la fin, il ne subsiste dans le corps de l’homme que la personnalité de la mère, les deux personnages s’étant livré un combat à l’intérieur de la tête où l’un a définitivement supprimé (ou s’est substitué à) l’autre. C’est d’ailleurs la voix féminine de la mère de Norman Bates que l’on entend, une voix intérieure, la voix de son maître, qui est celle de sa pensée. Le dernier plan juxtapose au visage de Norman la dentition de sa mère (flèche rouge sur ill.34), comme si elle l’avait dévorée et supplantée. Ce choix des dents, s’il se doit de donner un coté effrayant n’en est pas moins significatif au niveau des relations entre les identités que nous possédons, et qui se dévorent entre elles.

Mais Tony Oursler, au travers de son travail, tend à développer entre autres l’idée qu’il ne s’agirait plus d’une maladie mais plutôt d’un état « normal » propre au comportement de l’individu contemporain.

Idée que l’on retrouve dans l’ouvrage de Dubet et Martuccelli, mais où il s’agissait d’endosser des rôles, des identités suivant les contextes ou nous nous trouvons (le travail, la famille, les amis etc.) Alors que j’y verrais chez Tony Oursler plus le fait « d’être », en l’occurrence : multiple, que de jouer « à être.»  Et cette façon d’être multiple ne serait pas une psychose, mais la norme actuelle de notre société.

Nous aurions cette faculté de « zapper » d’une identité à une autre plus ou moins inconsciemment. La possession est quelques chose qui fait peur, parce qu’elle fait entrer une âme étrangère dans notre être, dans notre corps. Ce n’est pas l’identité multiple.

Mais, quand Tony Oursler propose cette multitude comme norme actuelle, il révèle le danger  d’une telle pratique. Par quoi construis-je ma multitude ? Par les contextes sociaux, régis eux-mêmes par des normes, dans lesquelles j’évolue, par les médias (Télévision, presse, jeux vidéos), je me perds entre l’image et la réalité.

Je perd le sens de cette réalité et la matérialité de mon propre corps. Car, avec un peu de pratique je vois que je peux non seulement être multiple consciemment ou non, et peut-être plus dangereusement lorsque j’en suis conscient, me diviser à volonté au fur et à mesure de ma consommation de projections (images des médias). Tant qu’à la fin j’en deviens moi-même une projection, et que je ne puis plus que me construire ainsi.

De plus rejoignant la préoccupation de Tony Oursler il est à noter qu’il est spécifié littéralement dans le D.S.M.IV que :

La plupart d’entre nous pouvons présenter quelques traits de quelques-unes unes de ces personnalités sans toutefois qu’il y ait lieu de diagnostiquer un ou des troubles.[1]

Et le fait que les têtes d’Oursler s’expriment toutes ensembles soit par leur place dans l’expo ou au sein de Untitled M.P.D. nous parlent bien aussi de cohabitation difficile.


[1] American Psychiatric Association, DSM-IV.

2 octobre 2005

04.4. La voix de son maître, partie1. L’œuvre

04.4.   La voix de son maître, partie1.

L’œuvre Judy met en regard donc ces identités multiples. L’installation peut représenter cette sorte de cohabitation dont je parlais, et aussi la sorte d’indépendance de chacune, ne tenant vraisemblablement pas compte de l’existence des autres identités.

La place du micro dans cette installation apporte quelque chose de véritablement nouveau à ma compréhension de l’identité multiple, Oursler fait intervenir le visiteur et lui fait littéralement endosser une identité, qui l’on nous suggère serait celle de Judy elle-même, à travers sa voix, une voix non unique , mais d’une multitude égale au nombre de participants et par delà infinie.

Tony Oursler renvoie ici son œuvre à notre propre condition identitaire en nous faisant prendre conscience que nous sommes multiples. Mais aussi, parce qu’il s’agit dans cette œuvre d’une intervention extérieure, que nos identités dépendent aussi du traitement que les autres, ceux extérieurs à nous, leur infligent.

Des identités, que parfois ils endossent et nous ôtent, parce qu’ils se les approprient à leur façon, à leur propre interprétation(s).

Rejoignant ainsi, quelque peu, ce que mettaient en regard les précédents travaux de Gilles Barbier et Maurizio Cattelan.

2 octobre 2005

04.3. Je ne dors pas dans la maison, mais dans le

04.3. Je ne dors pas dans la maison, mais dans le corps.

Pathologiquement le malade est plusieurs personnes différentes au sein d’un même corps. Elles ne ressortent jamais simultanément mais peuvent connaître l’existence d’autres des personnalités. La personnalité originelle devient l’une d’elle à son tour et n’est pas plus puissante que les autres. Nous pourrions appeler cette dernière « le moi originel ». A ne pas confondre avec l’idée « d’identité singulière » ou la notion de « vrai moi », il serait plus juste de dire : la « première » des identités multiples à se manifester, celle en théorie, la plus dominante. Ou d’employer le propre terme à Oursler le Moi-noyau (« core self »)[1].

On peut donc perdre l’une des personnalités et même la sienne originel, mais ce n’est pas tout à fait vrai dans le sens où les personnalités multiples sont née de ce « moi », elles sont nées de l’éclatement de celui-ci.

Le sujet reste encore vague car, à l’époque de l’œuvre (ill.30 et 31.) de Tony Oursler intitulée Untitled M.P.D. (25Heads), en 1998, la maladie M.P.D., dit l’artiste[2], n’était pas reconnue comme telle aux Etats-Unis et en faisait sourire plus d’un.

ill.32. Judy, 1994.

Détail de l’installation.

L’œuvre est composée de vingt-cinq têtes couchées à l’horizontale sur cinq rangées de cinq. Il existe plusieurs versions, une dont le modèle est l’auteur, l’autre incarnée par l’actrice Tracy Leipold, souvent en noir et blanc. Ce fut une version en couleur qui était à la dernière exposition du Jeu de paume, en 2005, à Paris. Ces têtes parlent, hurlent, à la fois figées et complètement excitées, véritablement habitée par leurs personnalités. Judy  (ill.32) pourrait tout à fais être l’une d’elle.

Au vu des installations d’Oursler, les identités multiples s’étendent aussi à l’environnement , aux objets.

(…) la peau, les murs, les organes, les yeux sont seulement des instances semi-perméables à travers lesquelles parviennent les pensées et les personae des autres (…)[3]

L’installation Judy, (ill.33), est une poupée habillée d’un ensemble à fleurs, maintenue sur une sorte de manche, accompagnée au sol par une mini robe, un amas de tissus, un tissu tendu de toile comme un paravent, un bouquet de fleurs dans lequel une projection d’un visage de femme crie en boucle :  « I don’t care what you smell, just eat it ! ». S’ajoutent un coussin, un canapé à demi maintenu en l’air dessous lequel gît une autre poupée coincée criant : « Eh ! fuck you ! », un coussin, une robe sur un piquet, un pantalon accroché au plafond ou est projeté l’image d’un corps nu, une sorte de fœtus en mouvement. Dans l’angle opposé, le spectateur, « le participant » selon les propres termes d’Oursler peut prendre place dans un fauteuil et parler dans un micro posé sur une table.

Et celui qui parle à travers donnerait sa voix à Judy.


[1] Raymond Bellour, L’œil machine, Tony Oursler, dispositifs, Paris, Flammarion, Jeu de Paume, 2005.

[2] Propos de Tony Oursler exprimés dans l’interview réalisé par la galerie du Jeu de paume pour l’exposition : Tony Oursler, dispositifs, du 15 mars-22mai 2005, Paris.

[3] Op. Cit.

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